Gérard Pétremand
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Balises | 1994 | Introduction > Français > English
 

Balises

La photographie - qui ne l'avait pas remarquédéploie deux effets antinomiques. Elle est tout à la fois prescriptive et neutralisante. La première action était déjà d'ancienne date propre à la peinture. Les toiles de Corot, par exemple, en disent si long (avec tant d'art) sur la lumière de Rome qu'un promeneur sur les Bord du Tibre reconnaît tout d'abord le peintre français dans le spectacle qui s'étend devant lui. Le regard est dirigé, "formaté" par la culture. Le second effet est plus récent: la neutralisation tient au flot même des images qui se déversent sur l'homme moderne. Qui, à force de tout voir, ne (re)garde plus grand chose. En quelque sorte, la photographie nous guide et nous emmène perdre, comme on disait au temps des contes. Mais il "suffit" d'un peu de vertu critique (de la part du regardeur) et de quelques effets de l'art (du côté du performateur), pour que la photographie capte l'oeil sans le désensibiliser ni le brider.

C'est là sans doute ce à quoi Gérard Pétremand fait appel dans sa série des "Balises". Scrutant sa ville natale, le photographe voit d'avantage (différemment aussi) que le promeneur ordinaire - et s'appuie pour le transmettre sur deux artifices techniques.

Il cadre son sujet (dans un assez grand format de 103 x 128 cm.) et recourt à une qualité de film qui met les couleurs à l'effet, selon l'expression du XVIIIe siècle. Le cadrage concentre et le film outre légèrement. C'est toute la différence d'avec l'attention flottante du passant qui égalise les teintes dans son esprit et n'organise jamais focale, perspective et champ dans un tableau conscient. Cette double opération d'art constitue donc le spectacle de la ville (puisqu'il s'agit de lui) en signe(s), c'est-à-dire en une réalité qui rejaillit sur le réel sans le traduire directement, mais pour le commenter, l'interpréter sous couvert d'un "effet de réalité" (forcément inconnue).

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Et tout à coup on voit. Une rue, des poteaux, un carrefour, des flèches, des panneaux, des véhicules (toujours immobiles), des signaux, des troncs, des affiches, des barrières, des inscriptions - bref, une plantation de verticales, ancrées au sol, éclatant comme autant de barres de scansion et de facettes, tout un peuplement qui s'étage dans la profondeur sans jamais rejoindre le ciel. Cette "animation" (comme on dit en parlant des macchiette, des taches, pour désigner les petits personnages qui expriment la vie dans les vénitiennes vedute du siècle des Lumières) reste à hauteur d'homme, mais sans âme à l'horizon.

Allures verticales, grilles à portée de main. Les innocents "pépiniéristes" de l'aménagement urbain disposent les indications contradictoires mais solidaires de signes en fait horizontaux, absurdes dans leur multiplication, leur équivalence. Et de cette forêt où bornes, arbres et candélabres s'individuent mal, Gérard Pétremand, parceque sa sélection n'est pas innocente, se garde bien de faire jaillir la cathédrale ou le repère signalétique qui transcende.

En revanche - est-ce une vraie consolation? - pas de grisaille dans les fourrés de cette Babel urbaine où chacun peut choisir ses messages sans lever la tête! Plutôt un chromatisme inhabituellement vif, des couleurs devenues choses, comme livrées par l'industrie du plastique, celle qui sait si bien produire du même. Comme justement on croit le reconnaître à travers toutes ces vues photographiques? - elles-mêmes en accord avec l'espoir que l'inlassable répétition d'un om (photographique) transforme les démarches formelles en exercices spirituels.


Rainer Michael Mason

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